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Richard Wagner disait « La musique commence là où s'arrête le pouvoir des mots. ». En y réfléchissant bien, cette citation s’adapte tout à fait aux 15-20 premières années du jeu vidéo. Privés de voix et assez pauvres en bruitages jusqu’à la moitié des années 90, les jeux n’avaient alors que la musique pour pouvoir immerger le joueur de manière auditive. Si plusieurs compositeurs ont su traverser les différentes époques du jeu vidéo en s’adaptant constamment aux possibilités offertes par chaque nouvelle génération de consoles, l’une des figures les plus emblématiques de ce petit monde est assurément Nobuo Uematsu.


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Entendu pour la première fois sur Genesis en 1985, Nobuo Uematsu dû attendre l’année suivante pour avoir droit à sa première véritable trace phonographique, avec la publication de la bande originale de Cruise Chaser Blassty, pressée en vinyle. Le succès phénoménal de Final Fantasy incita Square à réitérer ce geste en mettant largement en avant leurs compositeurs, que cela soit à travers la parution de nombreux albums ou la mise en place de concerts. Ainsi, soutenu par son entreprise, Nobuo Uematsu a vu sa popularité croître en tant que personnalité importante du jeu vidéo mais aussi en tant que compositeur.



Une marque de fabrique



À l’époque où les musiques étaient vraiment situées au premier plan des jeux, des compositeurs ont alors vu leurs noms devenir aussi importants que les têtes pensantes de certains titres, voire devenir des gages de qualité pour les joueurs. Les exemples ne manquent pas : Koji Kondo chez Nintendo, Yuzo Koshiro chez Sega, Motoi Sakuraba chez tri-Ace, Koichi Sugiyama chez Enix, Miki Higashino et Michiru Yamane chez Konami, Yasunori Mitsuda (et bien d’autres) chez Squaresoft etc. De nombreux talents ont ainsi vu leurs noms émerger, une situation que l’on constate moins depuis que le travail des compositeurs doit cohabiter avec les doublages et les nombreux effets sonores. Uematsu a eu la chance de faire partie de ces pionniers de la musique de jeu qui disposaient d’un vaste terrain d’expression. Pourquoi alors est-il devenu un compositeur à ce point admiré, parfois plus que ses collègues ?



Les trois plus grandes forces du compositeur moustachu sont toujours les mêmes depuis le début de sa carrière : un sens inné de la mélodie, un éclectisme musical exceptionnel et une faculté incroyable à toucher de manière simple. Peu importe la plateforme, le support, la période ou le jeu, chaque travail d’Uematsu ou presque est touché par plusieurs moments de grâce. Bien sûr, toutes ses œuvres ne sont pas palpitantes d’un bout à l’autre, certaines s’avèrent moins inspirées que d’autres, ou peu surprenantes. Mais Uematsu fait néanmoins partie de ces compositeurs à avoir toujours réussi à maintenir un véritable niveau de qualité sur l’ensemble de sa carrière, et rares sont les albums qu’il signe à ne pas disposer de mélodies inoubliables. Des centaines d’exemples me viennent en tête, du thème d’Elia sur FFIII à « The Land Unknown » de FFV en passant par le thème de Tina sur FFVI ou celui de Cid sur FFVII... À titre personnel, je pense que je me souviendrai toute ma vie du choc que j’ai ressenti en arrivant pour la première fois au village de Dali dans Final Fantasy IX. J’ai simplement posé ma manette pour me laisser enivrer par la beauté du lieu et de la musique.



Il arrive régulièrement que des compositeurs montrent plus de facilités à créer un certain type de morceaux plutôt que d’autres. Uematsu est arrivé à prouver à de nombreuses reprises son véritable talent dans la composition de thèmes nostalgiques ou romantiques, comme dans la réalisation de morceaux très imposants et survoltés. À ce titre, les bandes originales de Final Fantasy VI et Lost Odyssey demeurent deux des meilleurs exemples de l’éclectisme dont il est capable. Si cela est moins flagrant sur la première en raison des limitations techniques imposées par la Super Nintendo, la variété et la qualité des mélodies assurent à elles seules un véritable dépaysement et dépeignent un large panel de décors ou d’émotions. Lost Odyssey prouve quant à lui que le compositeur sait parfaitement être à l’aise dans des ambiances grandiloquentes et féroces comme dans des atmosphères intimistes et poignantes. J’en viens alors au troisième point dont je parlais plus haut : le pouvoir de toucher l’auditeur. Uematsu lui-même avoue ne pas être un grand musicien et qu’il lui aurait été impossible devenir compositeur hors du cadre de la musique de jeux vidéo. En étant conscient de ses faiblesses, il a su se concentrer sur ses forces pour devenir le mélodiste reconnu qu’il est aujourd’hui. Restituer l’intention des créateurs à travers des compositions simples mais sincères et marquantes peu importe le genre musical, tel est devenu la marque de fabrique de ce compositeur. En cela, Nobuo Uematsu et Hironobu Sakaguchi constituent un duo très complémentaire, dont le crédo pourrait tout à fait être « Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? ».



La dernière histoire



Finalement, après avoir collaboré tant de fois ensemble, peut-on dire que le tandem Sakaguchi-Uematsu a suivi le bon vieil adage « On prend les mêmes et on recommence » pour The Last Story ? Eh bien pas vraiment. Pour vous en rendre compte, vous pouvez d’ores et déjà lire sur notre test du jeu ou bien l’article Le Dernier Conteur. À l’image de la nouvelle direction empruntée par le dernier jeu de Sakaguchi, Uematsu a dû lui aussi revoir sa copie car ses premières démos n’ont pas convaincu le réalisateur ! Ce refus explique probablement pourquoi le compositeur s'est tourné vers Yoshitaka Suzuki et son style très cinématographique pour arranger son travail. Comme expliqué sur la page de l’album, Suzuki est un employé du studio GEM Impact, fondé par Norihiko Hibino, et est notamment connu pour avoir composé pour plusieurs épisodes de la série Metal Gear Solid. Ici, son rôle consiste à utiliser les mélodies d’origine d’Uematsu en y apportant la touche hollywoodienne désirée par Sakaguchi, ce qui explique le caractère si particulier de la bande originale de The Last Story.



Les héros du jeu étant très bavards, la musique d’Uematsu se veut beaucoup plus effacée qu’à l’accoutumée afin de laisser plus de place aux dialogues. De ce fait, l’ensemble de la bande originale se veut plus fonctionnelle que dans les précédents travaux du compositeur, où ses musiques occupent très souvent une place prépondérante au sein du jeu. En voulant soutenir les scènes d’affrontements qui occupent une large partie de TLS, Nobuo Uematsu a donné naissance à une œuvre dont émerge un sentiment de tension régulier. Si l’aspect mélodique qui caractérise la musique d’Uematsu est parfois mis de côté, les morceaux disposent très souvent d’une véritable évolution, où les moments d’accalmie se meuvent progressivement en moments épiques et imposants. Des pistes comme « Order and Chaos » ou « Awaiting Disaster » illustrent très bien ce type de progression, et les morceaux de ce genre occupent finalement une bonne partie de la BO.



Cohérente avec le jeu, cette bande originale n’échappe malheureusement pas à quelques défauts. En étant plus que jamais au service du jeu, le caractère ambiant de cette BO rend son écoute pure moins facile d’accès que la plupart des travaux d’Uematsu. L’autre point noir, probablement le plus regrettable, demeure la qualité sonore parfois très décevante. Cet aspect ayant été particulièrement soigné pour Blue Dragon et Lost Odyssey, il est étonnant que les musiques de The Last Story n’aient pas eu le droit à plus de pistes orchestrées. En effet, les sonorités synthétiques des cuivres ou des cordes sautent rapidement aux oreilles, surtout en comparaison des quelques morceaux acoustiques.



Fort heureusement, Nobuo Uematsu a plus d’un tour dans son sac, et si son travail n’est pas aussi enthousiasmant qu’espéré, il renferme néanmoins des pistes intéressantes et très réussies. Je parlais à l’instant des pistes acoustiques, celles-ci sont rares mais leur intervention se fait remarquer dès la première écoute. Je retiens en particulier la magnifique et chaleureuse « Just Being Near You », qui rappelle combien Uematsu excelle lorsqu’il s’agit d’illustrer les sentiments humains. L’enregistrement d’instruments a également profité à la sombre et menaçante « Fallen Nobles », où la patte du compositeur se reconnaît dès les premières notes du thème. Plusieurs pistes d’ambiance menées avec brio se dégagent aussi de l’ensemble de la BO. L’évasive et mélodieuse « Timbre of the City », le thème de la ville de Lazulis, est l’une des plus réussies de la carrière du moustachu, et sa simple écoute suffit à nous emmener dans le cadre maritime du jeu.



The Last Story comporte aussi plusieurs thèmes épiques particulièrement marquants. Le medley qui ouvre la bande originale compile (parfois maladroitement) plusieurs mélodies récurrentes du jeu, dont plusieurs raisonneront encore longtemps de nos têtes une fois notre Wii éteinte. Récurrente elle aussi de par son statut de thème des boss, « Evil Beast » saura imprégner le joueur et l’auditeur d'un épais sentiment de danger, prodigué par son ambiance furieuse et impitoyable. Son arrangement n’est d’ailleurs pas sans rappeler « J-E-N-O-V-A » de FFVII... « Bout of Arena ~ Battle Banquet » est l’une des autres réjouissances de cette BO, son violon et sa flûte virevoltants accompagneront brillamment la multitude de combats dans l’arène, même si encore une fois, une réelle orchestration aurait mieux profité au morceau que les cuivres actuels. Je ne serais malheureusement pas aussi enthousiaste en ce qui concerne « The One Ruling Everything », la musique du combat final, dont j’ai trouvé le ton déjanté gratuitement osé et très mal adapté au passage qu’elle accompagne, lequel fait suite à un dénouement douloureux. Fort heureusement, cette déception est rattrapée quelques pistes plus loin par « Meowmeowmeowmeowmeow~ » euh... « Toberu mono » ! Première mélodie entendue à l’annonce de The Last Story, elle demeure probablement la plus emblématique du jeu, et son parfum romantique n’est pas sans rappeler un certain « Theme of Love » de Final Fantasy IV. La preuve que le Nobuo Uematsu qu’on aime tous n’est jamais très loin, même au milieu de pistes sombres et intenses.



Flying to the stars. Far Away.



En s’éloignant des sentiers battus, la bande originale de The Last Story rejoint une catégorie de travaux assez inédits dans la carrière d’Uematsu, comme les bandes originales de Front Mission Series : Gun Hazard ou plus récemment Anata Wo Yurusanai, auxquelles je vous conseille vivement de jeter une oreille. Cette nouvelle pièce de la carrière d’Uematsu remplit parfaitement son rôle au sein du jeu mais sortie de son contexte, elle reste une œuvre sur laquelle il est difficile de s’attarder. Cependant, il serait dommage de passer à côté de ses meilleurs moments, où l’on retrouve le Nobuo Uematsu qui a su nous faire vibrer durant des années. Impatients de découvrir ce que le duo Sakaguchi-Uematsu nous réserve, c’est avec curiosité et enthousiasme que nos regards se tournent désormais vers l’avenir, en sifflotant, une larme au coin de l’œil, la mélodie de « Toberu Mono ».




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